Pour sextuor vocal (2 sopranos, 2 altos, 1 contre-ténor, 1 baryton-basse)

Durée : 16′

D’après le sonnet XXI de Fernando Pessoa

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Commande d’Etat • France • Pour la Fondation Royaumont
Éditions PAPILLON

Création : le 9 septembre 2000 • Festival Voix Nouvelles • Royaumont – Paris

Neue Vocalsolisten Stuttgart
  • Direction : Manfred Schreier

Cette pièce est la deuxième d’une série d’œuvres en chantier inspirées par les 35 sonnets anglais de Fernando Pessoa. Elle fait suite au Sonnet XXII pour contre-ténor, archiluth et ensemble instrumental.

Toutes ces pièces sont habitées par l’idée d’offrir un chemin – à chaque fois différent – allant d’une interdépendance des musiciens très forte vers une forme d’affranchissement des individualités.
Ainsi, dans « Sonnet XXI », les voix cherchent à se distancier les unes des autres, elles y parviennent quelque temps, mais sont à nouveau ramenées vers la situation de départ, vers un point obscur, et lorsque les chanteurs peuvent effectivement se séparer, ils chantent paradoxalement d’une seule voix.
Cela illustre un vers de Pessoa :  » La chose une fois touchée demeure encore en la mémoire, réelle et extérieure. » J’ai également ressenti le besoin de faire appel à des vers extraits du Sonnet XLIII de William Shakespeare. Ceci dans l’intention d’incarner la mémoire du poète portugais (« Shakespeare comme mémoire de Pessoa »), une mémoire qui surgit à la voix d’alto grave et qui se prolonge chez le contre-ténor. La « Dark Lady » et le jeune homme récurrents aux Sonnets de l’élisabéthain peuvent être ainsi suggérés.

Thought was born blind, but Thought knows what is seeing.
Its careful touch, deciphering forms from shapes,
Still suggests form as aught whose proper being
Mere finding touch with erring darkness drapes.
Yet whence, exept from guessed sight, does touch teach
That touch is but a close and empty sense?
How does mer touch, self-uncontented, reach
For some truer sense’s whole intelligence ?
The thing once touched, if touch be now omitted,
Stands yet in memory real and outward known,
So the untouching memory of touch is fitted
With sense of a sense whereby far things are shown
So, by touch of untouching, wrongly aright,
Touch’ thought of seeing sees not things but Sight.

by Fernando Pessoa

La Pensée est née aveugle, mais elle sait ce qu’est le voir.
Son toucher délicat, déchiffrant sous les contours les formes,
Toujours suggère la forme comme quelque chose dont le propre être
Drape d’obscurité trompeuse le simple toucher qui découvre.
Et comment cependant, sinon en devinant la vue, le toucher enseigne-t-il
Qu’il n’est qu’un sens vide et limité ?
Comment le simple toucher, insatisfait de lui, atteint-il
L’entière intelligence de quelque sens plus vrai ?
La chose une fois touchée, si l’on oublie le toucher même,
Demeure encore en la mémoire, réelle et extérieure,
Ainsi l’intouchante mémoire du toucher s’accorde
Avec le sens d’un sens par lequel sont montrés les objets éloignés,
Ainsi par un toucher qui ne touche, faussement juste,
La tactile pensée de voir ne voit les objets, mais la Vision.

Traduction d’Olivier Amiel, Christian Bourgois Editeur

Sonnet XLIII

When most I wink, then do mine eyes best see,
For all the day they view things unrespected,
But when I sleep, in dreams they look on thee,
And darkly bright, are bright in dark directed.

by William Shakespeare

En se fermant mes yeux prennent meilleure vue,
Ne voyant tout le jour que choses sans beauté ;
Mais si je dors, ton ombre en mon rêve apparue
Les tient, sombrement clairs, en cette obscurité.

Traduction de Jean Malaplate • Éditions l’Âge d’Homme

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